Ouverture d’une expérience immersive sur le Titanic à Nantes

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Par Antoine Resche

Au début de l’année a été annoncée l’ouverture d’une expérience en réalité virtuelle nous permettant de marcher sur les ponts du Titanic, offerte par la société Eclipso, qui propose déjà ce genre d’expérience à Bordeaux, Lyon, Paris, mais aussi Londres, New-York et Séville. À chaque fois, le principe est simple : à l’aide d’un casque en réalité virtuelle, vous pouvez vous déplacer dans un monde totalement recréé autour de vous. Les expériences déjà proposées sont diverses : plongée en Égypte ancienne, au milieu des dinosaures, dans la Carcassonne médiévale, ou encore parmi les peintres impressionnistes. Et voici que le nouveau projet nous amène sur le Titanic. Et il ouvre à Nantes, qui plus est, où j’ai le plaisir d’habiter ! L’occasion était belle !

Malheureusement, pendant quelques mois, nous sommes restés dans l’expectative : la date d’ouverture initialement annoncée est passée, sans nouvelles. Cela ne m’a pas empêché de proposer à nos membres, lors de notre dernière AG, de tenir celle de 2026 à Nantes pour profiter de l’expérience… pour peu qu’elle ouvre. Après prise de contact, nous avons été invités, Aurélie Saboureau et moi, à nous rendre au nom de l’AFT à l’inauguration prévue début juillet. Patatras ! Quelques jours avant la soirée, nous apprenions que des problèmes techniques avaient forcé à repousser l’événement. C’est donc hier soir, 3 septembre, que nous avons pu enfin découvrir le résultat. Serait-il à la hauteur ?

Poster de Titanic, le rêve englouti

Inquiétudes et soulagement

Dès qu’il est question d’œuvres concernant le Titanic destinées au grand public, nous autres passionnés tremblons légitimement. Combien de documentaires médiocres, voire franchement mauvais, qui alimentent voire amplifient des clichés ? Combien de reconstitutions vaseuses, de produits dérivés de mauvais goût ! Même l’exposition des objets de l’épave par la RMS Titanic Inc., société qui en détient les droits d’exploitation et se targue d’une expertise scientifique, est à bien des égards décevante, comme je l’avais déploré dans les colonnes de Latitude 41 : entre les panneaux truffés d’erreurs de traduction et parfois de fond, les photos à plus de 10 € devant un fond vert et les Titanic gonflables vendus à la boutique où on ne trouve pas un livre, le respect que nécessiterait l’exposition d’objets si émouvants était assassiné et enterré avec la même pelle ! Autant dire qu’il faut être d’une grande naïveté pour ne pas aller sans méfiance dans une attraction comme Titanic, le rêve englouti, qui peut cacher le meilleur comme le pire.

Et pourtant, la surprise a été, selon l’expression consacrée, « globalement positive ». Déjà, les choix opérés par les auteurs ont été à la fois audacieux, originaux, et sensibles. L’expérience nous propose une série de tableaux dans lesquels nous pouvons nous déplacer, qui alternent promenade sur le site de l’épave et scènes de vie à bord. Le fil conducteur est un passager méconnu, le cinéaste William Harbeck, qui voyageait en deuxième classe avec sa caméra. Les plus connaisseurs des passagers français du Titanic auront peut-être reconnu en lui l’homme qui voyageait avec la mystérieuse Henriette Yvois (sur les traces de laquelle notre ami Alain Dufief a fait il y a quelques années de solides recherches). Henriette apparaît d’ailleurs furtivement dans l’expérience. En effet, c’est la caméra d’Harbeck qui sert ici de lien entre passé et présent, à travers les bobines que nous apercevons dans le champ de débris, sans pour autant emprisonner totalement le cadre de l’expérience. L’idée est originale, et l’hommage final rendu au cinéaste touchant.

Scène sur le pont. À côté des cheminées, un homme filme une femme et le capitaine.
Devant le gymnase, William Harbeck filme Henriette Yvois dans cette scène sur le pont.

Deuxième choix intéressant : la mise en scène de quelques autres personnages méconnus. Nous croisons ainsi Fang Lang, l’un des marins chinois qui voyageaient en troisième classe (et apprenons au passage, chose que j’ignorais, le traitement spécial qui fut réservé aux six rescapés chinois à leur arrivée à New York, du fait du Chinese Exclusion Act). Nous croisons aussi un membre d’équipage moins connu du grand public, le chef mécanicien Bell, au sein de l’impressionnante salle des machines, et sommes également présentés, entre autres, à Helen Churchill Candee.

Troisième choix, le plus audacieux et, à mon avis, le plus louable : nous ne revivrons pas le naufrage. J’ai d’ailleurs hésité à l’indiquer ici, car il ne faudrait pas tout vous raconter à l’avance, mais je juge cette information importante, car elle pourra rassurer ceux qui auraient craint une attraction de mauvais goût. Un côté sensationnaliste et spectaculaire de type « survivez au Titanic ! » aurait été à mon sens éthiquement discutable, et pourtant commercialement tentant, et je suis heureux que les auteurs n’y aient pas succombé. Nous ne vivrons donc que la collision, traitée avec fidélité et respect. C’est d’ailleurs selon moi le tableau qui utilise le mieux les possibilités techniques de l’expérience : pouvoir se déplacer sur la passerelle pendant que l’événement se déroule, voir ce qui se passe d’un côté, de l’autre est impressionnant et émouvant.

Côté technique

C’est donc l’occasion d’évoquer le côté plus technique d’Eclipso. Comment cela fonctionne-t-il ? Après avoir laissé nos affaires au vestiaires, nous nous alignons dans une antichambre. Chacun se voit remettre un casque de réalité virtuelle, ajustable à sa tête et sa vision. Notre groupe d’une dizaine de personnes va ensuite assister à quelques explications techniques, avant de se diriger dans la salle où aura lieu l’expérience. Quelques règles de sécurité sont essentielles : ne pas courir (il ne faudrait pas rentrer dans un mur ou un camarade), garder le silence pour ne pas perturber les autres… En cas de problème, il suffit de lever la main pour que l’un des surveillants de salle vienne à notre aide. J’en ai fait directement l’expérience lorsque mon casque a été victime d’un bug : si l’on se sent un peu bête, casque sur la tête, sans voir ce qui se passe autour, le bras levé comme un écolier avec la bonne réponse, l’aide arrive vite et efficacement. En un instant, mon casque était remplacé, et j’étais de retour sur le Titanic !

Dix personnes dans une pièce, aveuglés par leur casque, cela pourrait vite être chaotique. Mais rassurez-vous, le dispositif est bien pensé. Une grille apparaît dès que nous nous approchons d’un mur : il faudrait vraiment le vouloir pour s’en prendre un ! Quant à nos camarades, ils apparaissent sous forme de silhouettes translucides. Vous ne saurez pas qui vous avez à côté de vous, mais, et c’est le plus important, vous ne vous cognerez pas (trop) les uns aux autres ! Et cette translucidité des silhouettes fait que même si vous êtes derrière la foule, vous ne raterez rien du spectacle.

Sur le pont du navire d'exploration, des figures avec un casque en réalité virtuelle observent le plan de l'épave tandis qu'un sous-marin les surplombe.
Dans la première scène de l’expérience, les visiteurs se préparent à la plongée.

Me concernant, j’anticipais deux problèmes qui me sont propres. Le premier : je n’ai pas de vision binoculaire (mes deux yeux ne se synchronisent pas), ce qui m’empêche de voir efficacement en trois dimensions. Je ne profite donc pas du cinéma en 3D (les lunettes me servent juste à… voir le film !) et dans une paire de jumelles, il m’est recommandé de fermer un œil. Je craignais donc d’être pas mal handicapé ici et, bonne surprise, ce ne fut pas (trop) le cas. L’impression de flou que j’ai ressentie fréquemment m’a parfois fait me demander si j’avais mal réglé mon casque, mais en « forçant » brièvement mes yeux à travailler ensemble (ce que je ne peux faire que par tranches de quelques secondes), la netteté revenait. Cela m’a surtout été handicapant dans les plans les plus larges, mais ne m’a globalement pas privé de l’expérience, et j’en suis donc très heureux. Deuxième crainte… le mal des transports. Il est connu que les expériences virtuelles peuvent le susciter, et j’y suis particulièrement sujet. Je craignais donc franchement vertiges et nausées. Si j’ai peut-être eu un ou deux légers vertiges, ce n’était rien de marquant, et clairement pas le « Gerbotron 3000 » que j’anticipais.

En somme, donc, l’expérience est tout à fait accessible et agréable. Il est par ailleurs accessible aux personnes en fauteuil roulant (et il est recommandé pour les personnes utilisant habituellement une canne de privilégier un fauteuil pour éviter les accidents), et peut être adapté à vos problèmes de vue. Aucune version sous-titrée n’est en revanche proposée (serait-ce seulement techniquement possible ? Je suppose que cette absence n’est pas volontaire), et l’expérience est déconseillée aux personnes ayant des problèmes cardiaques ou d’épilepsie, selon la FAQ d’Eclipso.

En guise de bilan

Je suis sorti agréablement surpris et globalement satisfait. Certes, le récit n’est pas exempt de quelques erreurs, que ce soit de traduction (rappelons le une fois encore, les engineers du Titanic n’étaient pas ingénieurs mais mécaniciens) ou quelques légendes courantes (l’incendie aurait fragilisé la coque, la compagnie aurait volontairement réduit le nombre de canots pour améliorer la vue sur le pont). En entendant ces quelques points, les passionnés comme moi hausseront les sourcils. Mais dans l’ensemble, le travail de recherche est tout à fait honorable, et ces erreurs ont tellement été faites que ce sont surtout ceux qui les ont véhiculées dans leurs écrits et documentaires qu’il faut blâmer ici. Comme je l’ai expliqué à l’un des auteurs avec qui j’ai pu discuter, je suis beaucoup plus indulgent que je ne le serais dans le cadre d’une exposition qui se pare d’une expertise scientifique.

La reconstitution est, dans l’ensemble, fidèle et spectaculaire. On pourrait là aussi sûrement pointer quelques détails, mais on est loin des catastrophes que certains proposent pourtant comme des reconstitutions ultra-précises. Les intérieurs sont particulièrement bien réalisés, et on sent que la recherche a été au rendez-vous. Le Grand escalier, par exemple, est bien plus réaliste que celui qui nous est proposé en dur par la RMS Titanic lors de ses expositions (et où vous pouvez payer 10 € pour une jolie photo, comme il se doit).

Des visiteurs observent le grand escalier, éclairés par le sous-marin.
Au cours de la visite, nous nous retrouvons à observer le Grand escalier tel qu’il repose aujourd’hui au fond de l’océan.

Techniquement, la représentation graphique n’a pas le niveau de détail de ce que proposeraient les moteurs de jeu-vidéo les plus aboutis : n’attendez pas quelque chose du niveau de Titanic: Honor and Glory en termes de qualité… Mais il faut dire aussi que la technologie ne le permet probablement pas (encore). C’est aussi pour cela que les lieux les plus complexes ne sont pas de la partie. Le grand salon de première classe qui fait tant souffrir les ordinateurs les plus puissants lorsqu’on le visite dans la démo 401 aurait probablement mis à rude épreuve à la fois les artistes et le matériel ! Plus largement, la technologie se prête clairement plus aux scènes réduites qu’aux plans larges, et la réalisation semble en avoir conscience. Dans tous les cas, la qualité graphique est suffisante pour ne jamais être totalement sorti de l’expérience.

En somme, si Titanic le rêve englouti n’est pas le rêve absolu du passionné que je suis (mais peut-il seulement être atteint !), c’est un très bon moment à passer. Surtout, je sais que l’enfant que j’étais il y a (un peu trop) longtemps aurait été émerveillé en le découvrant, et n’aurait pas manqué de vouloir en savoir plus. C’est là l’essentiel et j’espère qu’à sa manière, cette expérience contribuera à la diffusion du sujet qui nous réunit. C’est en tout cas avec plaisir que nous ferons découvrir cette attraction aux membres de l’AFT qui souhaiteront se joindre à nous à Nantes en avril prochain !

Les images qui illustrent cet article nous ont été fournies par le service presse d’Eclipso. Les graphismes sont fidèles à ce que l’on a pu voir dans les casques à réalité virtuelle lors de notre visite. Les figures équipées de casques ajoutées dans les deux dernières images donnent une idée de l’expérience des visiteurs.

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